Des milliers et des milliers de croix blanches, impeccablement alignées, jetant une tâche de clarté dans un univers gris.
Un ossuaire écrasant de sa masse la campagne environnante, comme s’il voulait retenir prisonniers les 130 000 corps qu’il recèle, jetés là, pêle-mêle, Français et Allemands confondus.
Froid, boue, entonnoirs remplis d’eau se chevauchant les uns les autres, végétation sauvage et rabougrie, empoisonnée par un sol gorgé d’explosifs, forteresses de béton éventrées, tachetées de rouille, aux couloirs envahis de stalagmites, ruisselants sous une médiocre lumière électrique… : année après année, le champ de bataille de Verdun produit toujours le même effet sur les visiteurs de Saint-Jean de Passy. Un sentiment d’effarement.
Silence et recueillement
Partis dans la nuit des abords de la Maison de la Radio le 7 novembre dernier, les troisièmes ont débarqué de leur bus plein d’énergie, après quatre heures de route leur permettant de finir leur nuit. Plaisanteries, rires, cris, cavalcades… Pour les encadrants s’annonçait une journée compliquée dans ce lieu, à la fois sacré et maudit, où le silence et la retenue sont de rigueur. Mais non. Le temps de Toussaint, le sol gorgé d’eau et les rafales présageant l’hiver ont rapidement fait leur effet sur des jeunes jetés dès potron-minet dans un univers lugubre.
C’est avec recueillement qu’ils ont rejoint à l’intérieur de l’ossuaire de Douaumont leurs camarades de la classe Défense qui, arrivés la veille à Verdun, pour une visite au 1er régiment de chasseurs, assistaient à la messe dans la chapelle. Avec calme et discipline qu’ils ont ensuite visite les hauts lieux de la bataille, Vaux et Douaumont, leur attitude leur valant les félicitations des guides, habitués à des publics scolaires fréquemment bien plus remuants. Il est vrai que la visite du mémorial de Verdun, à l’exceptionnelle muséographie, puis de la tranchée reconstituée de Chattancourt, jointes aux explications de leurs enseignants, leur ont donné la mesure du drame qui s’est joué ici.
Une histoire meurtrière
Verdun, c’est plus de trois-cent mille morts, quatre-cent mille blessés. Deux millions d’obus ont été tirés les deux premiers jours de la bataille, soit vingt-cinq fois l’intensité la plus élevée atteinte aujourd’hui quotidiennement par les armées russe et ukrainienne confondues. Certains villages ont été pris et repris à de si multiples reprises (seize fois pour Fleury devant Douaumont) qu’il n’en reste rien. Les hommes se sont tellement acharnés à s’entretuer pendant dix mois, ont utilisé tellement de gaz, d’explosifs, de métaux lourds à l’hectare, qu’il faudrait six siècles pour tout dépolluer. Des chiffres étourdissants qui ne seront sans doute jamais égalés et une folie meurtrière qui ne pouvait manquer de faire réfléchir garçons et filles.
A l’heure où les tensions ressurgissent à nos frontières, ils ont pris conscience que rien n’est plus précieux que la paix. Mais qu’il faut pour la conserver savoir identifier les vraies menaces à venir et se tenir prêt à consentir les efforts nécessaires pour vaincre.